Us et costumes: du deuil en 1860

Aujourd'hui nous retrouvons Mme de Simiane pour un article sur les usages du deuil paru dans le Magasin des Demoiselles. Cet article est assez court et je vais pouvoir mettre au clair certaines choses très facilement.

En ces temps où les costumes de deuil se multiplient (et c'est une bonne chose) il est important de ne pas négliger les fonctions et les habitudes associées à cet habit terriblement codifié.

Tout d'abord notre auteur précise qu'aucun article n'avait été écrit depuis 1852 sur ce sujet et qu'il comportait des inexactitudes qu'il convenait de rectifier (d'ailleurs il me faudra rechercher cet article dont elle glorifie la rédactrice sans pour autant la citer avec précision, déjà des problèmes de sources !). Ce qui nous intéresse là-dedans c'est qu'elle entend donner les codes qui régissent environ tout le second empire et c'est donc furieusement intéressant pour les costumières qui s'intéressent à cette question.

Deuxième introduction: il convient de rappeler ce qu'est le deuil et quelle signification il revêt. Nous parlons bien d'une période successive à la perte d'un être cher et de la proximité avec cette personne aimée dépend le code vestimentaire; donc lorsqu'on se lance dans cette reproduction, nous couturiers modernes il faudrait dire non pas "j'ai fait une tenue de deuil" mais j'ai fait "des tenues de deuil" ou alors préciser "une tenue de deuil pour la perte d'un père, d'une mère ou d'un frère...durant les trois premiers mois/les trois derniers mois".
J'ajoute que personnellement ce sujet me touche car je pense que réaliser une tenue de deuil c'était aussi (dans les catégories populaires qui les fabriquaient elles-même) une étape  du deuil psychologique et un hommage rendu au disparu; ainsi réaliser une tenue noire pour l'esthétisme ne me parait pas relever du véritable deuil. Je crois qu'il existait des tenues sombres ou même noires par forcément liées au deuil. En tout cas l'article ne précise jamais que le noir soit seulement réservé au deuil.

J'en reviens à la première partie de l'article qui concerne  le deuil d'un de ses parents (père ou mère). Sa durée est d'un an, les six premiers mois on porte des "étoffes de laine"; voilà qui est surprenant pour nous modernes, la matière est plus importante que la couleur (même si la liste précise mentionne la couleur). On devait beaucoup prier pour les que les proches ne trépassent pas en début d'été.
Vous pouvez aller voir ici un des rares exemples de robes en laine conservée.

Voici la liste des vêtements ET accessoires (oui j'insiste sur les accessoires qui sont très importants dans la liste) préconisés: "robes de laine noire, mérinos, cachemire pur, vénitienne, cachemire d'Ecosse, Orléans, velours de laine, reps, parisienne, etc.; châle long ou carré, cachemire pur (ou d'Ecosse...comme précédemment) ou barége, bagnos;
 Mourning shawlDate: 1840–50 Culture: British Medium: silk, wool Dimensions: Length: 122 1/2 in. (311.2 cm) Credit Line: Gift of Madeline H. Farnsworth, 1980 Accession Number: 1980.376

chapeau de crêpe ou de cachemire (? à quoi ça pouvait ressembler ?), tulle orné de crêpe, bonnet de crêpe crêpé ou lisse; parure de crêpe  unie ou brodée, cols crêpe crêpé ou lisse; bas de soie ou bourre de soie; ombrelle noire; gants de soie noire; mouchoir à broderie ou bande noire."


Pendant les trois mois suivants on conserve le noir pour les tenues mais on passe à des étoffes enfin plus légères: "robes de soie noire unie, barège uni ou satiné, étoffe de laine et soie; chapeau de soie, crêpe ou dentelle, orné de plumes, fleurs et rubans". On peut remettre des ornements et les accessoires utilisent des couleurs moins sombres: "des gants de soie ou de chevreau gris; mouchoir à broderie ou à bande lilas; ombrelle blanc et lilas; bas blanc."
Mourning dressDate: 1850 Culture: American Medium: silk Dimensions: Length at CB: 56 in. (142.2 cm) Credit Line: Purchase, Judith and Ira Sommer Gift, 2008, Metropolitan museum of art. 



Enfin elle ajoute qu'à la cour l'empereur porte le deuil en violet et l'impératrice en blanc (?!) et  que la durée en est fixée par l'étiquette.Enfin pendant les trois derniers mois on utilise toutes les étoffes habituelles "soie, moire, tarlatane, organdi, jaconasse" dans des couleurs grises ou violettes: "violet, gris perle, grisaille, mauve, noir et blanc."
Afternoon dressDate: ca. 1848 Culture: British Medium: silk Dimensions: Length at CB: 54 in. (137.2 cm), MET

Lilac dress for a bride in half mourning, c1870 at Killerton, DevonLilac dress for a bride in half mourning, c. 1870. The height of fashion for the time with a rounded high waist & extravagant fullness at the back supported by a half crinoline. At Killerton.
Property name Killerton
County Devon
Image library NTPL Commissioned (NTPL)
Photo credit ©National Trust Images/David Garner

Enfin coté bijoux l'auteur précise qu'on peut porter des bijoux spécifiques au deuil mais s'en abstenir durant les six premiers mois.


Deuil de grand-parents, enfant, frère ou sœur: il ne dure que six mois. Il est divisé en deux parties égales de trois mois. Dans la première on doit porter de nouveau les étoffes de laines noires mais on peut les porter "unie ou fantaisie", la dentelle est autorisée en plus du crêpe. Dans la seconde partie on rétablit les étoffes de "saison" noires, grises ou violettes. Donc il est bien question de porter des étoffes chaudes, même si ce n'est pas de saison (notion surprenante).

Deuil d'oncle ou tante: trois mois en laine ou en soie. Pour un cousin germain six semaines en laine ou en soie.

ET voici le deuil de VEUVE, tous aux abris, c'est très très COMPLIQUE !  D'abord rappel de la loi de l'époque: "la veuve ne peut, d'après la loi civile, contracter un nouveau mariage qu'après dix mois révolus depuis la mort de son mari. La durée de son deuil est, selon les convenances sociales de treize mois." Les dix mois sont très faciles à comprendre, je suppose que c'était lié à des questions d'héritages pour ne pas permettre à la veuve d'attribuer un enfant à un autre père. Quant aux treize, je ne sais pas.

Pendant les 4 premiers mois: mêmes tenues que pour les six premiers mois de ses parents, de la laine noire et tous les accessoires en crêpe qui vont avec; seul changement le mouchoir doit être "de batiste à large baguette noire".
Pendant les trois mois suivant, toujours de la laine noire mais on ajoute d'autres tissus possibles: "velours de Florence, barège, grenadine"; mêmes accessoires avec en plus: "collerette en crêpe, gants de soie ou de chevreau, mouchoir brodé noir et blanc, ombrelle noire doublée de blanc".

Pendant les trois mois suivants (du 8e au 11e mois)on ajoute beaucoup plus de possibilités de tissus: "soie noire unie, gros de Tours, gros d'Ecosse, vénitienne, popeline de Lyon, taffetas", on peut utiliser des "mantelets et casaques de soie, chapeau de velours ou d'étoffe orné de fleur, plumes ou rubans, bonnets en tulle, dentelle ou blonde, coiffure de jais ou parure fantaisie et brodée; bas blancs, gants gris, soie, chevreau ou Suède; mouchoir blanc, broderie grise ou lilas; ombrelle grise ou lilas."
Mourning hatDate: ca. 1888 Culture: American Medium: silk, feathers Dimensions: 11 3/4 x 12 1/2 in. (29.8 x 31.8 cm) Credit Line: Brooklyn Museum Costume Collection at The Metropolitan Museum of Art, Gift of the Brooklyn Museum, 2009; Gift of George F. Hoag, 1959

Pendant les deux mois restants on rétablit tous les genre de robes et de tissus en gris, violet ou noir, chapeaux gris,lilas ou blancs et lilas; cols de dentelle; gants blancs ou lilas, bas blancs, broderie blanche; ombrelle blanche garnie de dentelle ou de franges.
"Il est d'usage que les domestiques prennent le deuil à la mort du mari ou de la femme, du père ou de la mère, de l’aïeul ou de l’aïeule. Quelque fois les voitures sont drapées de noir".
Snowshill Manor © National Trust / Richard BlakeyNational Trust Inventory Number 1349776
Category Costume
Date 1865 - 1870
Materials Textile

Elle ajoute ensuite les autres "précautions liées au deuil": on encadre les cartes de visites, le papier à lettres et les enveloppes d'une bande noire et on utilise de la cire à cacheter noire.


Un dernier long développement est fait à propos de la manière de rédiger les annonces du décès à ses connaissances; elle reprend à son compte les dires du comte d'Estourmel "spirituel chroniqueur parisien" qui trouvait très incorrect de parler d'une perte "douloureuse" à autant de gens, ce qualificatif devait être réservé à un cercle d'intimes, pour les autres, on ne doit pas "les mettre dans la confidence d'une émotion".

Voilà j'espère que les usages liés au deuil sont plus clairs ;-)

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