Une Histoire de Crinolines

Puisqu'il faut bien commencer par quelque chose: un article sur la confection des jupons-crinolines trouvé dans Le Magasin des Demoiselles, 22e année, soit 1865/1866. 
A la page 173 on trouve des explications du patron d'une crinoline: "Crinoline, dessinée sur le 2e côté, numéros 1 à 7". Evidemment la planche de gravure a disparu de l'exemplaire relié mais l'explication est fort heureusement demeurée. 


Je reproduis une partie de l'explication, à cause d'une panne de scanner,  sur lequel je veux m'extasier:
 " A cette ceinture [ceinture du jupon-crinoline appelé seulement "crinoline"] on ajoute de chaque côté un caoutchouc de même largeur que la ceinture, terminé par une agrafe qui vient s'attacher devant. Le n°6, moitié de la ceinture du devant, que l'on taille double et qu'on coud sur la pièce du devant, sans oublier la boutonnière passant dans l'agrafe du corset. De chaque côté, on coud un ruban de fil que l'on noue derrière. Au milieu du tablier, on fait deux boutonnières, une de chaque côté; elles viennent s'attacher à deux boutons posés sur le n°2. A l'envers, on coud encore un caoutchouc à la hauteur de la lettre H; on a soin de le passer derrière en mettant la crinoline pour l'empêcher de revenir en avant et de ballotter." 


La première fois que j'ai lu cette explication j'ai fait de multiples découvertes: 


- "catouchouc" ? coudre ? l'article parle donc bien d'élastiques !!! J'en suis restée pantoise et j'ai lancé une grande recherche sur ce terme. Le littré n'en dit pas grand chose, il précise son origine indienne (on s'en doutait): Cahuchu, nom indien de cette substance. Et en y regardant de plus près il semble bien que le nom d'élastique provienne à la fois de sa propriété; "élastique" en tant qu'adjectif provient du grec et s'emploie à l'origine dés les premiers progrès des sciences physiques pour qualifier les propriété d'un gaz (ici s'arrêtent mes compétences en sciences physiques); mais cela proviendrait aussi du nom donné à l'arbre fabriquant la substance: Jatropha elastica. Donc dès l'expédition de La Condamine l'adjectif "élastique" semble avoir un sens dérivé proche du sens moderne de ce mot. 
Mais alors de quoi parle-t-on exactement, à quoi cela pouvait-il ressembler ? Encore et encore j'ai fouillé les dictionnaires anciens: Le littré de 1872 (assez proche de la date) il existe déjà un usage substantif du mot, ce serait donc un nom masculin qui désigne un "ressort":  Ressort que l'on met aux bretelles. Remettre un élastique. Se dit aussi des jarretières et d'une sorte de bracelet pour tenir les manches. Porter des élastiques. 
A ce stade on comprend donc l'usage étrange de ce terme "caoutchouc"; on ne parle pas encore d'élastique car "l'élastique" désigne le petit ressort métallique dont on se sert pour fermer de manière lâche les jarretelles,bretelles... Pour éviter la confusion avec ces "élastiques" qui ont aujourd'hui disparus on a donc utilisé le nouveau terme de "caoutchouc". 


- Alors à quoi ressemble ce tout nouvel élastique (sens moderne ici) ? Là encore on retourne vers les dictionnaires qui nous donne un élément de réponse: La huitième édition du dictionnaire de l'académie française (1932) nous parle d'un nouvel usage en tant que substantif masculin pour le mot élastique: Il se dit, comme nom masculin, d'un Tissu contenant des fils de caoutchouc ou de ces fils eux-mêmes. Bottines à élastiques. Remettre un élastique.. 
Comme l'explication du patron parle de "coudre" des caoutchouc j'en conclue donc que des "élastiques" existaient déjà qui devaient ressembler à des rubans sur lesquels on avait cousu de fins fils de coutchouc... 


- Enfin l'intérêt pratique de cette petite trouvaille réside dans la dernière phrase: l'élastique est cousu en arc de cercle sur le 4e arceau et doit passer derrière, derrière quoi ? J'ai donc pris ma crinoline d'une main et mon élastique (moderne) de l'autre et j'ai tenté pour savoir où et comment on cousait cet accessoire et comment il pouvait empêcher la crino de ballotter. Résultat de l'expérimentation: on doit être passé derrière les genoux ou, mieux encore, derrière les cuisses: ce qui expliquerait que ce ne soit pas écrit (choquant de parler de cette partie de l'anatomie des demoiselles). Et le dosage de la longueur est assez délicat à trouver mais une fois bien fixé il est vrai qu'il maintient la crinoline en position projetée et qu'elle bouge beaucoup moins étant bloquée par l'élastiques sous nos charmantes fesses rebondies. 


Voilà pour une de mes petites découvertes que je voulais partager avec vous. Maintenant quelques questions subsistent pour moi, je devrai me renseigner et rechercher encore (à moins qu'un de mes lecteurs ait déjà les réponses): 
- peut-on trouver des traces de ces "caoutchouc" pour voir à quoi cela ressemble. 
- quand s'est opéré le passage du caoutchouc à l'élastique puisque Goodyear ne découvre qu'en 1842 un processus de stabilisation de la matière. Où et quand a-t-on produit ces bandes élastiquées ? 
- les jeunes femmes n'en auraient-elles pas mis ailleurs ? et un peu partout ? Dans le même article on parle de ces mêmes bandes de "caoutchouc" pour mettre à certains endroits sur la ceinture.  

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