Circassienne et Orientalisme


b) L’orientalisme ambiant
Les dix-septièmes et dix-huitième siècle sont évidemment imprégnés d’orientalisme même si, en littérature, on n’en convient que tardivement (aucune trace de ce terme dans les vieux ouvrages de littératures).
D’abord à cause de l’arrivée de contes orientaux, par exemple Antoine Galland (1646-1715) « traduit » les célèbres contes des Mille et Une nuits. C’est la première traduction en Europe et elle introduit une « mode » de l’Orient.
«  La traduction de Galland contribuera puissamment à accentuer la mode de l’orientalisme et des « turqueries » en introduisant en Occident le pittoresque oriental » dixit Christian Biet, JP. Brighelli et J. Rispail, agrégés de Lettres en 1985 dans un manuel scolaire sur les XVIIe et XVIIIe siècles aux éditions Magnard.
Les mêmes auteurs soulignent que ces ouvrages sont de « belles (traductions) infidèles (à l’original) » car les auteurs soignent davantage la galanterie et la préciosité du langage que la fidélité au texte original.  A la lecture des exemples suivants j’ai une autre hypothèse, je pense que beaucoup de ces contes sont en réalité écrits en Français car rien dans leurs intrigues ne laisse supposer une origine autre qu’occidentale et comme c’était le cas pour beaucoup d’ouvrages « divertissants » non sérieux les auteurs préféraient laisser croire à une traduction. On se rappelle ainsi de l’introduction du roman de Marivaux La vie de Marianne où l’éditeur prétend avoir « trouvé » les feuilles relatant l’histoire.
Or si l’on recherche un peu on trouve d’autres « copies » de contes pittoresques orientaux :

Les mille et un jours , contes persans, traduits en français par M. Petis de La Croix
Éditeur : Hôtel Serpente (Amsterdam)
Date d'édition : 1785
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Y2-8577

Dans ces contes-ci ce sont les Persans qui se trouvent en affrontement avec les Circassiens qui n’acceptent pas la domination chinoise. On y oppose les Tartares Nogaïs qui acceptent la suzeraineté du bon prince chinois aux Circassiens qui «  au lieu de chercher  l’apaiser par des soumissions […] forment à la hâte une armée pour lui résister. »


Les mille et une soirées. Tome 1 / . Contes mogols
Auteur : Gueullette, Thomas-Simon (1683-1766)
Éditeur : chez les Libraires associés (Paris)
Date d'édition : 1765
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Y2-40888

Or ces contes mogols racontent les aventures édifiantes et pleines de bons sentiments d’un sultan tombé amoureux d’une femme circassienne parmi les trois princesses promises et qui lui donne l’ordre d’épouser les trois femmes pour ne pas faire de jalouse. Ensuite il a trois fils de ses trois femmes qui tombent amoureux de la même belle circassienne…. Et ainsi de suite jusqu’à un dénouement heureux. Le texte et long et âpre à lire.

Cependant rien qui eût pu vraiment imposer une figure féminine de Circassienne assez puissante pour influencer la mode Occidentale. Alors différents éléments m’ont mise sur une autre piste : celle du théâtre.
D’abord lorsqu’on parlait de « Turqueries » on ne peut que penser à Molière avec le dernier acte du Bourgeois Gentilhomme ou encore à Racine et Corneille qui ont influencés la littérature de leurs époques. En 1644 Corneille fait jouer son Rodogune et Racine son Bajazet en 1672.  Ainsi dés le milieu du dix-septième siècle il semble que les costumes orientaux aient fait fureur au théâtre. Regardons donc du côté du théâtre plus « populaire ». Par cela j’entends qu’il faut qu’un personnage ou qu’une pièce ait dépassé le simple cadre de la représentation à la cour pour qu’il ait une véritable influence.

Ce qui m’amène à cette hypothèse du personnage littéraire c’est le cas de « l’Andrienne » ou de « l’Adrienne » qui est une appellation de la robe à la Française dont  Heileen (http://costumehysteric.blogspot.fr/) m’avait parlé lors d’une discussion informelle. 

Date: 1730–40 Culture: European Medium: silk, metal Dimensions: Length at CB: 52 in. (132.1 cm) Credit Line: Brooklyn Museum Costume Collection at The Metropolitan Museum of Art, Gift of the Brooklyn Museum, 2009; Brooklyn Museum Collection. 


J’en profite pour faire une petite parenthèse sur l’Andrienne, justement. Il est généralement acquis que cette appellation et la robe qui en découle est imposée par une pièce jouée en Novembre 1703, écrite par Baron Père.  Je suis allée chercher des informations sur cette pièce dans le Dictionnaire Portatif Historique Littéraire des Théâtres de M. de Léris (1763, lui aussi consultable sur Gallica).
Alors, oui en effet les robes proviennent de là, semblerait-il : p. 41 « La Demoiselle Dancourt, la mère, qui représentait l’Andrienne (le rôle), imagina une sorte de robe abattue, qui convenait à  ce rôle, dont le monde s’établit et ces robes retinrent le nom d’Andriennes. »

Date: 1740s Culture: British Medium: silk, pigment, linen Dimensions: Length at CB (a): 58 in. (147.3 cm) Length at CB (b): 40 in. (101.6 cm) Credit Line: Harris Brisbane Dick Fund, 1995


Oh surprise ! Cette pièce n’est qu’une relecture de Térence, un  poète Latin d’origine Berbère et qui place l’action d’une pièce appelée Andriae à Athènes dans laquelle des personnages sont originaires de l’île d’Andros.
Et d’autres relectures, il y en a eu, toujours d’après notre Dictionnaire du théâtre : A la page 239 on trouve la mention d’une pièce  de Pieu de La Rivey s’intitulant Les Jaloux « comédie en un acte avec prologue tirée de L’Eunuque et de l’Adrienne ». Et aussi une version de Desperiers Bonaventure : Andrienne de  1537.
Enfin pour clore cette parenthèse sur l’Adrienne, il existe aussi des exemplaires illustrés de la pièce originale en latin.


·         [Illustrations de Terentius cum quinque commentis] / [Non identifié] ; Térence, aut. du texte
Auteur : Térence (0190?-0159 av. J.-C.). Auteur du texte
Éditeur : Georgii de Rusconibus (Venise)
Date d'édition : 1518
Format : 154 est. : gravures sur bois : Noir et blanc
·          [Illustrations de Comoediae] / [Non identifié] ; Térence, aut. du texte
Auteur : Térence (0190?-0159 av. J.-C.). Auteur du texte
Éditeur : Jean Trechsel (Lyon)
Date d'édition : 1493
Langue : Français moyen
Format : 162 est. : gravures sur bois : Noir et blanc

Conclusion de cette digression, nous avons trouvé l’ancêtre de la robe à la Française ! Et on ne l’aurait sans doute pas deviné mais la robe à l’Andrienne est censée être un costume grec antique de théâtre !

Date: 1730–50 Culture: French Medium: silk Dimensions: Length at CB: 60 in. (152.4 cm) Credit Line: Purchase, Irene Lewisohn Bequest, 1964
Du coup, je n'y avais jamais réfléchi plus que cela mais tous ces motifs "exotiques", floraux ou animaux pourraient trouver une explication dans l'origine grecque de la tenue... Mais surtout le fameux pli drapé du dos serait donc là pour imiter une toge ou une tenue antique drapée... Mais ceci est une autre recherche et on revient très vite à la Circassienne. 

 Il n’en est pas trace dans le dictionnaire des œuvres de théâtre. N’aurait-elle pas existé au théâtre ? La suite au prochain épisode.

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