La Polonaise et l'état de Nature ?

Deuxième billet de la série où je vais essayer de montrer le pourquoi de la mode de la Polonaise . Cela me permettra aussi d'évoquer un  facteur d'émergence lié au "retour à la nature" (je n'aime pas trop cette expression, on n'en est jamais vraiment parti), à la mode rousseauiste qui sévit.

Commençons par un document tout à fait saisissant que j'ai déniché: ce sont des poésies sur des thème légers, dont la mode publiées entre 1797 et 1800. On est un peu hors de mes bornes chronologiques mais le regard porté quelques quinze ans plus tard sur les diverses robes et leur ordre de succession est intéressant.

Donc, la Polonaise se classe en deuxième ordre d'apparition, juste derrière la Française; après elle arrivent dans l'ordre la Lévite et l'Anglaise; voilà qui est étonnant. Enfin peut-être pas pour tout le monde, mais pour ma part, d'après mes connaissances lacunaires et superficielles j'aurais plutôt classé: Française-anglaise-polonaise-lévite... 
On peut me rétorquer que les Polonaises-lévites-anglaises cohabitent tellement que quinze ans plus tard un auteur satirique peut les mettre dans le désordre, surtout dans une introduction assez vague comme cela... non ! L'auteur récidive un peu plus loin et se montre plus précis: 
Titre : Essai de poésies légères, par F.-V. M***,...
Auteur : Mulot, François-Valentin (1749-1804)
Éditeur : impr. de A. Crass (Mayence)
Date d'édition : 1798
Type : monographie imprimée
Format : In-8° , II-170 p.
Droits : domaine public
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-YE-1495
La Polonaise est donc morte d'avoir été "commune", très répandue; elle est "courte et vive", on devra se rappeler de ses adjectifs un peu plus loin. 
Et puis petit fait intéressant la Lévite est reconnaissable à son écharpe et est associée à l'église...une nouvelle recherche à venir. 
Je laisse volontairement de côté la robe-chemise qui dépasse mon cadre d'étude pour cette fois (mais le document est intéressant. 

Retour à la question de la classe sociale avec ce récit d'un fait divers:  

Le mot "représentations" est légèrement équivoque; il désigne les dépenses mais aussi l'image donnée de soi; c'est moins net qu'avec la circassienne mais la Polonaise a tout de même une image un peu "légère". 

Deuxième trace du prix d'une Polonaise et des personnes qui la porte ici: 



"nos grandes dames", "celles qui jouissent d'une brillante fortune"; on l'a compris, il s'agit bien d'une classe sociale aisée qui s'adonne à cette mode (et ruine donc l'industrie).


Les Sottises et les folies parisiennes ; aventures diverses etc., avec quelques pièces curieuses et fort rares : le tout fidèlement recueilli par M. Nougaret. Partie 1
Auteur : Nougaret, Pierre-Jean-Baptiste (1742-1823)
Date d'édition : 1781
Droits : domaine public
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-Z LE SENNE-7120


Sur le pourquoi de l'émergence de cet engouement pour la Polonaise entre 1770 et 1780 j'ai tissé une isotopie (un réseau de suppositions concordantes) à partir de deux indices; d'abord une petite pièce de théâtre sans grand intérêt:

La Polonaise est donc une robe "galante" "garnie de fleurs". J'ai associé cela à une remarque sur les cahiers des modes; 
15e cahier 5e figure. 



Je conteste fort la date de 1778; elle ne veut pas dire qu'on ne fait des Polonaises qu'à partir de 1778 mais qu'on lui ôte ses ornements excessifs à partir de ce moment là. 
Le lien Rousseau-Polonaise ne m'avait pas sauté aux yeux mais il est pleinement intéressant; en effet ses préceptes en terme d'éducation plus "libre" trouvent écho dans la mode; en voici un autre exemple: 



Ici l'auteur évoque pour la première fois les "bonnes mères" qui aiment la compagnie de leurs enfants et qui n'ont pas "mis en moule" leurs enfants, je pense comprendre qu'ils n'ont pas été emmaillotés et sans doute pas (trop) corseté. Ils ont donc bien une taille "naturelle". Le terme nature apparaît également, ce qui est intéressant. Plus loin dans le même ouvrage l'auteur développe une description de la Polonaise comme évolution vers plus de naturel: 




"moules", "armures", "mesquines", "maussades", "factice", "fausse"... pour l'auteur la Polonaise donne enfin à voir les formes féminines sans artifice.


Suite d'estampes pour servir à l'histoire des moeurs et du costume des Français dans le dix-huitième siècle : années 1775-1776. Année 1775
Éditeur : Prault (Paris)
Date d'édition : 1775-1777
Format : 2 t. en 1 vol. ; gr. in-fol.
Droits : domaine public
Source : Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, RES GR FOL-LI7-3


Beaucoup d'autre ouvrages insistent sur cet aspect de la Polonaise, comme on le voit ici:


Ce document est une lettre d'un Iroquois qui découvre l'Europe; encore un des nombreux pastiches des Lettres Persanes de Montesquieu.

Lettres iroquoises, ou correspondance politique, historique et critique entre un iroquois voyageant en Europe, et ses correspondants... (30 juillet 1781.). Tome 1
Éditeur : au berceau de la vérité (Londres)
Date d'édition : 1783
Format : 3 vol. in-8°
Droits : domaine public
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Z-15635

Donc la Polonaise est la robe qui respecte l'envie de retour au naturel verbalisé par Rousseau.Je précise car je me rends compte que j'ai oublié de le faire tellement ça paraissait évident à la vilaine lettrée que je suis: les deux textes fondateurs de cet élan "naturel" sont: 
- Du Contrat Social paru en 1772 
- et surtout pour moi le Discours sur L'Origine de l'Inégalité entre les Hommes paru en 1755; on pourrait citer aussi la Nouvelle Héloïse qui est un roman mais qui n'a pas "valeur" de démonstration. 
 Dernière preuve accablante de ce rapprochement qu'il faut contextualiser. Dans la ville natale de Rousseau, Ermenonville René-Louis Girardin fait installer tout un parc de jardins à l'Aglaises sensés reproduire les jardins décrits dans la Nouvelle Héloïse. Tout Paris s'y presse dans les années 1770/1780 et même des célébrités ou personnalités royales. Beaucoup s'en extasient mais ce n'est pas le cas de l'auteur que je vais vous présenter. 
Pour la BNF il s'agit d'un véritable témoignage d'une "touriste" mais pour moi il s'agit avant tout d'un satiriste anonyme qui s'est couvert en écrivant sous forme de lettres comme c'était la mode dans ses années-là; pour en être sûr il faudrait courir les bibliothèques françaises et espérer remettre la main sur l'auteur véritable ou le manuscrit mais c'est un autre projet que le mien. 
Je disais donc que la narratrice qui écrit une lettre à une amie, lui décrit les fameux jardins d'Ermenonville où elle s'est rendue. Elle s'étonne de l'engouement des gens pour ce jardin qui entend reproduire une absence de jardin, si vous avez le temps, lisez-le c'est très drôle et assez court. (Je précise aussi que ces jardins avaient été érigés sur des anciens marais, ce qui explique peut-être la réussite nuancée du projet.) 

Et devinez quelle était la robe de l'amie qui voyageait avec elle ? Une polonaise bien sûr ! Je vous laisse avec un extrait; bientôt une troisième partie (peut-être en y aura-t-il une quatrième vu la matière qu'il me reste) sur les bonnes conditions dans lesquelles porter les Polonaises. 


Lettre écrite par une jeune dame de Paris, à son retour d'Ermenonville, à l'une de ses amies, à la campagne
Date d'édition : 1780
Sujet : Ermenonville (France)
Format : In-8 °. Pièce
Droits : domaine public
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK7-2628



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